Méditer la miséricorde avec le Pape

Dans le cadre de l’année jubilaire, le pape François a prêché cette semaine une retraite spirituelle pour les prêtres. Au programme de cette retraite, trois méditations sur le thème de la miséricorde que nous vous proposons de découvrir.

Pompeo Girolamo Batoni, "le retour de l'enfant prodigue"

Première méditation

Basilique Saint-Jean de Latran

Jeudi 2 juin 2016

De l’éloignement à la fête

Et maintenant passons à la première méditation. J’ai mis comme titre “De l’éloignement à la fête”. Si la miséricorde de l’Évangile est, comme nous l’avons dit, un excès de la part de Dieu, un débordement inédit, la première chose à faire, c’est de regarder où le monde d’aujourd’hui et chaque personne ont le plus besoin d’un tel excès d’amour. Avant tout, il faut nous demander quel est le réceptacle d’une telle miséricorde ; quel est le terrain désert et sec pour un tel débordement d’eau vive ; quelles sont les blessures pour cette huile balsamique ; quels orphelins ont besoin de cette prodigalité en tendresse et en sollicitude ; quel est l’éloignement par rapport à une si grande soif d’accolade et de rencontre….

Dans ce large horizon de la nostalgie, ce jeune est entré en lui-même et s’est senti misérable.(...) Chacun de nous a son secret de misère au-dedans… Il faut demander la grâce de le trouver.

La parabole que je vous propose pour cette méditation est celle du Père miséricordieux (cf. Lc 15, 11-31). Nous sommes dans le domaine du mystère du Père. Et il me vient à l’esprit de commencer par ce moment où le fils prodigue se trouve dans la porcherie, dans cet enfer de l’égoïsme, ce fils qui a fait tout ce qu’il voulait et qui, au lieu d’être libre, se retrouve asservi. Il regarde les porcs qui mangent les gousses…, il en a envie et il est gagné par la nostalgie. Nostalgie : mot-clé. La nostalgie du pain fraîchement sorti du four que les employés de sa maison, la maison de son père, mangent au petit déjeuner. La nostalgie est un sentiment puissant. Il a rapport avec la miséricorde, parce qu’il élargit notre âme. Il nous amène à nous rappeler le bien primordial – la patrie d’où vous venons – et nous éveille à l’espérance d’y retourner. Le nostos algos. Dans ce large horizon de la nostalgie, ce jeune – dit l’Évangile – est entré en lui-même et s’est senti misérable. Et chacun de nous peut chercher ou se laisser porter à ce point où il se sent plus misérable. Chacun de nous a son secret de misère au-dedans… Il faut demander la grâce de le trouver.

Sans nous arrêter maintenant à décrire la misère de son état, passons à cet autre moment où, après que son Père l’a embrassé et lui a donné un baiser avec effusion, il se trouve sale mais vêtu pour la fête. Parce que le Père ne lui dit pas : « Va ! douche-toi et reviens ». Non. Sale et vêtu pour la fête. Il a au doigt l’anneau, signe de son égalité avec son père. Il a des sandales neuves aux pieds. Il est au centre de la fête, parmi les gens. Quelque chose comme quand, si jamais cela nous est arrivé, nous nous sommes confessés avant la messe et là, tout d’un coup, nous nous retrouvons ‘‘revêtus’’ et au milieu d’une cérémonie. C’est un état de honteuse dignité.

Honteuse dignité

Arrêtons-nous sur la “honteuse dignité” de ce fils prodigue et bien-aimé.Si nous nous efforçons, sereinement, de maintenir notre cœur entre ces deux extrêmes – la dignité et la honte –, sans en lâcher aucun, peut-être pourrons-nous sentir comment bat le cœur de notre Père. C’était un cœur qui battait d’inquiétude, quand tous les jours il montait sur la terrasse pour regarder. Qu’est-ce qu’il regardait ? Si son fils revenait… Mais à ce point, à cette place où il y a dignité et honte, nous pouvons percevoir comment bat le cœur de notre Père. Nous pouvons imaginer que la miséricorde en jaillit comme du sang.

Dans notre prière, sereine, qui va de la honte à la dignité et de la dignité à la honte – toutes les deux ensemble – nous demandons la grâce de sentir cette miséricorde comme constitutive de notre vie entière ; la grâce de sentir comment ce battement du cœur du Père s’unit au battement du nôtre.

Qu’il sort nous chercher – nous pécheurs –, qu’il nous attire à lui, nous purifie et nous relance, renouvelés, vers toutes les périphéries, pour faire miséricorde à tous. Son sang est le Sang du Christ, sang de la Nouvelle et Éternelle Alliance de miséricorde, versé pour nous et pour tous, en rémission des péchés. Ce sang, nous le contemplons, tandis qu’il entre et sort de son Cœur comme du cœur du Père. C’est notre unique trésor, l’unique chose que nous ayons à offrir au monde : le sang qui purifie et pacifie tout ainsi que tous. Le sang du Seigneur qui pardonne les péchés. Le sang qui est vraie boisson, qui ressuscite et donne la vie à ce qui est mort à cause du péché.

Dans notre prière, sereine, qui va de la honte à la dignité et de la dignité à la honte – toutes les deux ensemble – nous demandons la grâce de sentir cette miséricorde comme constitutive de notre vie entière ; la grâce de sentir comment ce battement du cœur du Père s’unit au battement du nôtre. Il ne suffit pas de sentir la miséricorde de Dieu comme un geste qu’il accomplit occasionnellement en nous pardonnant quelque grand péché et pour le reste nous nous arrangeons seuls, de manière autonome. Cela ne suffit pas.

Saint Ignace propose une image chevaleresque propre à son époque, mais comme la loyauté entre amis est une valeur pérenne, elle peut nous aider. Il dit que, afin de sentir «confusion et honte» pour nos péchés (et ne pas nous lasser de sentir la miséricorde), nous pouvons prendre un exemple : imaginons « un chevalier qui se présente devant son roi et toute sa cour, honteux et confus de l’avoir beaucoup offensé, étant donné qu’en premier il avait reçu du roi beaucoup de cadeaux et beaucoup de faveurs » (Exercices spirituels, n. 74). Imaginons cette scène. Mais, suivant la dynamique du fils prodigue lors de la fête, imaginons ce chevalier comme quelqu’un que le roi, au lieu d’avoir honte devant tout le monde, au contraire, prend par la main soudainement et à qui il rend sa dignité. Et nous voyons que non seulement il l’invite à le suivre dans son combat, mais qu’il le place à la tête de ses compagnons. Avec quelle humilité et quelle loyauté ce chevalier le servira désormais! Cela me fait penser à la dernière partie du chapitre 16 d’Ezéchiel, la dernière partie.

que chacun se situe dans cette tension féconde dans laquelle la miséricorde du Seigneur nous met : non seulement des pécheurs pardonnés mais des pécheurs auxquels la dignité est rendue.

Qu’on se sente comme le fils prodigue fêté ou comme le chevalier déloyal devenu supérieur, ce qui est important, c’est que chacun se situe dans cette tension féconde dans laquelle la miséricorde du Seigneur nous met : non seulement des pécheurs pardonnés mais des pécheurs auxquels la dignité est rendue. Non seulement le Seigneur nous nettoie, mais il nous couronne, nous donne dignité.

Simon Pierre nous offre l’image ministérielle de cette saine tension. Le Seigneur l’éduque, le forme progressivement et le prépare à se maintenir ainsi : Simon et Pierre. L’homme ordinaire, avec ses contradictions et ses faiblesses, et l’homme qui est Pierre, celui qui a les clefs, celui qui guide les autres. Lorsqu’André le conduit au Christ, tel qu’il est, vêtu comme pêcheur, le Seigneur lui donne le nom de Pierre. À peine l’a-t-il félicité pour la profession de foi, qui vient du Père, que déjà il le reprend durement pour la tentation d’écouter la voix de l’esprit mauvais qui lui dit de se tenir loin de la croix. Il l’invitera à marcher sur les eaux et le laissera commencer à s’enfoncer dans sa propre peur, pour lui tendre ensuite la main ;à peine s’est-il reconnu pécheur qu’il l’envoie en mission pour être pêcheur d’homme ; il l’interrogera avec insistance sur son amour, en lui faisant sentir douleur et honte pour son manque de loyauté et pour sa lâcheté, mais, par trois fois même, il lui confiera la charge de paître ses brebis. Toujours ces deux pôles.

C’est ici que nous devons nous situer, dans cet espace où cohabitent notre plus honteuse misère et notre plus haute dignité. Que ressentons-nous quand les gens nous embrassent la main et que nous regardons notre misère la plus intime et que nous sommes honorés par le Peuple de Dieu ? Là il y a une autre situation pour comprendre cela. Toujours le contraste. Nous devons nous situer ici, dans cet espace où coexistent notre misère la plus honteuse et notre dignité la plus haute. Le même espace. Sales, impurs, mesquins, vaniteux – c’est le péché des prêtres, la vanité –, égoïstes et, en même temps, ayant les pieds lavés, appelés et élus, partageant les pains multipliés, bénis par nos gens, aimés et entourés de soins. Seule la miséricorde rend supportable cette position. Sans elle, soit nous nous croyons justes comme les pharisiens, soit nous nous éloignons comme ceux qui ne se sentent pas dignes. Dans les deux cas, notre cœur s’endurcit. Ou bien quand nous nous sentons justes comme les pharisiens, ou bien quand nous nous éloignons comme ceux qui ne se sentent pas dignes. Je ne me sens pas digne, mais je ne dois pas m’éloigner : je dois être là, dans la honte avec la dignité, les deux ensemble.

Approfondissons un peu plus. Nous nous demandons : Pourquoi cette tension entre misère et dignité, entre éloignement et fête, est-elle si féconde ? Je dirais qu’elle est féconde parce que la maintenir naît d’une libre décision. Et le Seigneur agit principalement sur notre liberté, même s’il nous aide en tout. La miséricorde est une question de liberté. Le sentiment jaillit, spontané, et lorsque nous disons qu’il est viscéral, il paraîtrait que c’est synonyme d’‘‘animal’’. Mais en réalité les animaux ignorent la miséricorde ‘‘morale’’, bien que certains puissent expérimenter quelque chose de cette compassion, comme un chien fidèle qui reste aux côtés de son maître malade. La miséricorde est une compassion qui touche les entrailles, néanmoins elle peut jaillir également d’une perception intellectuelle aiguë – directe comme un rayon, bien que simple, pas moins complexe pour autant – : on saisit par intuition beaucoup de choses quand on éprouve la miséricorde. On comprend, par exemple, que l’autre est dans une situation désespérée, limite ; qu’il lui arrive quelque chose qui dépasse ses péchés ou ses fautes ; de même on comprend que l’autre est un semblable, qu’on pourrait se trouver à sa place ; et que le mal est si grand et si dévastateur qu’il ne se répare pas uniquement par la justice… Au fond, on se convainc qu’il faut une miséricorde infinie comme celle du cœur du Christ pour remédier à tant de mal et de souffrance comme nous voyons qu’il y en a dans la vie des êtres humains… Si la miséricorde va au-dessous de ce niveau, elle ne sert pas. Notre cœur comprend tant de choses seulement en voyant quelqu’un couché dans la rue, pieds nus, par un matin froid, ou bien en voyant le Seigneur cloué sur la croix pour moi !

De plus, la miséricorde s’accepte et se cultive, ou se rejette librement. Si l’on se laisse conduire, un geste attire l’autre. Si on passe au large, le cœur se refroidit. La miséricorde nous fait expérimenter notre liberté et c’est là que nous pouvons expérimenter la liberté de Dieu, qui est miséricordieux avec celui qui est miséricordieux (cf. Dt 5, 10), comme il l’a dit à Moïse. Dans sa miséricorde, le Seigneur exprime sa liberté. Et nous, la nôtre.

Nous pouvons vivre longtemps ‘‘sans’’ la miséricorde du Seigneur. C’est-à-dire que nous pouvons vivre sans en avoir conscience et sans la demander explicitement, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que ‘‘tout est miséricorde’’ ; et on pleure amèrement pour n’en avoir pas profité auparavant, étant donné qu’on en avait tant besoin !

La misère dont nous parlons est la misère morale, intransférable, celle dans laquelle on prend conscience de soi-même comme une personne qui, à une étape décisive de sa vie, a agi de sa propre initiative : elle a fait un choix et a mal choisi. C’est le fond qu’il faut toucher pour sentir la douleur des péchés et pour se repentir vraiment. En effet, dans d’autres domaines on ne se sent pas si libre et on ne sent pas que le péché affecte toute sa vie, et par conséquent on n’expérimente pas sa propre misère ; et ainsi on perd la miséricorde, qui n’agit qu’à cette condition. On va à la pharmacie et on dit : ‘‘Par miséricorde, donne-moi une aspirine’’. Par miséricorde, on demande de donner de la morphine à une personne en proie à des douleurs atroces d’une maladie en phase terminale. Ou tout ou rien. On va au fond ou on ne comprend rien.

Le cœur du Christ est un cœur qui choisit le chemin qui est le plus court et qui l’engage.

Le cœur que Dieu unit à notre misère morale est le Cœur du Christ, son Fils bien-aimé, qui bat comme un seul cœur avec celui du Père et celui de l’Esprit. Je me souviens quand Pie XII a fait l’Encyclique sur le Sacré-Cœur, je me souviens que quelqu’un disait : « Pourquoi une Encyclique sur cela ? Ce sont des affaires de sœurs… » Il est le centre, le Cœur du Christ, il est le centre de la miséricorde. Peut-être que les sœurs comprennent mieux que nous, parce qu’elles sont des mères dans l’Église, elles sont des icônes de l’Église, de la Vierge. Mais le centre c’est le Cœur du Christ. Cela nous fera du bien cette semaine ou demain de lire Haurietis aquas… “Mais c’est préconciliaire !” – Oui, mais ça fait du bien ! On peut lire, cela nous fera beaucoup de bien ! Le cœur du Christ est un cœur qui choisit le chemin qui est le plus court et qui l’engage. C’est le propre de la miséricorde, qui se salit les mains, touche, se met en jeu, veut se compromettre avec l’autre, s’adresse à ce qui est personnel avec ce qui est le plus personnel, ne ‘‘s’occupe pas d’un cas’’ mais s’engage avec une personne, avec sa blessure. Regardons notre langage. Que de fois, sans nous en apercevoir, il nous vient à dire : “ J’ai un cas…” Arrête-toi ! Dis plutôt : “J’ai une personne qui…”. Cela est très clérical : “J’ai un cas…”, “j’ai trouvé un cas…”. A moi aussi cela arrive souvent. Il y a un peu de cléricalisme : réduire le concret de l’amour de Dieu, de ce que Dieu nous donne, de la personne, à un “cas”. Et ainsi je me détache et cela ne me touche pas. Et ainsi je ne me salis pas les mains ; et ainsi je fais une pastorale propre, élégante, où je ne risque rien. Et donc où – ne vous scandalisez pas ! – je n’ai pas la possibilité d’un péché honteux. La miséricorde dépasse la justice et le fait savoir et le fait sentir ; l’on demeure engagé l’un envers l’autre. En rendant la dignité, – et cela est décisif, à ne pas oublier : la miséricorde donne de la dignité – la miséricorde élève celui vers lequel on s’abaisse et rend les deux égaux, le miséricordieux et celui qui reçoit miséricorde. Comme la pécheresse de l’Évangile (Lc 7, 36-50), à laquelle il a été beaucoup pardonné, parce qu’elle a beaucoup aimé, et avait beaucoup péché.

la miséricorde élève celui vers lequel on s’abaisse et rend les deux égaux, le miséricordieux et celui qui reçoit miséricorde.

Voilà pourquoi, le Père a besoin de faire la fête, pour que, en rendant à son fils la dignité perdue, tout soit restauré en une seule fois. Cela permet de regarder l’avenir d’une manière neuve. Ce n’est pas que la miséricorde ne prenne pas en compte l’objectivité du dommage provoqué par le mal. Mais elle lui enlève le pouvoir sur l’avenir, – et cela est le pouvoir de la miséricorde – elle lui enlève le pouvoir sur la vie qui va de l’avant. La miséricorde est la vraie attitude de vie qui s’oppose à la mort, qui est le fruit amer du péché. En cela, la miséricorde est lucide, elle n’est pas du tout ingénue. Ce n’est pas qu’elle ne voie pas le mal, mais elle regarde combien brève est la vie et tout le bien qu’il reste à faire. C’est pourquoi il faut pardonner totalement, pour que l’autre regarde en avant et ne perde pas du temps à se culpabiliser et à se plaindre lui-même et à regretter ce qu’il a perdu. En commençant à soigner les autres, on fera son propre examen de conscience et, dans la mesure où on aide d’autres, on réparera le mal qu’on a fait. La miséricorde est fondamentalement pleine d’espérance. Elle est mère d’espérance.

Se laisser attirer et envoyer par le mouvement du cœur du Père, c’est se maintenir dans cette saine tension de dignité honteuse. Se laisser attirer par le centre du cœur du Père, comme le sang qui s’est sali en allant donner la vie aux membres les plus éloignés, pour que le Seigneur nous purifie et nous lave les pieds ; se laisser envoyer pleins de l’oxygène de l’Esprit pour apporter la vie à tous les membres, surtout aux personnes les plus éloignées, à ceux qui sont fragiles et à ceux qui sont blessés.

Un prêtre racontait – cela est historique – l’histoire d’une personne échouée dans la rue qui a fini par vivre dans une maison d’accueil. C’était une personne enfermée dans sa propre amertume, qui n’entrait pas en contact avec les autres. Une personne cultivée ; on l’a su plus tard. Quelque temps après, cet homme a été hospitalisé à cause d’une maladie en phase terminale et racontait au prêtre que, en étant là, réduit à rien et déçu de la vie, celui qui était dans le lit d’à côté lui a demandé de lui passer le pot de chambre et ensuite de le vider. Et il a raconté que cette demande, de la part de quelqu’un qui était vraiment dans le besoin et qui était dans un état pire que le sien, a ouvert ses yeux et son cœur à un très puissant sentiment d’humanité ainsi qu’à un désir d’aider l’autre et de se laisser aider par Dieu. Et il s’est confessé. Ainsi, un simple geste de miséricorde l’a connecté à la miséricorde infinie ; il s’est résolu à aider l’autre et ensuite il s’est fait aider : il est mort, après s’être confessé, et en paix. C’est cela le mystère de la miséricorde.

Ainsi, je vous laisse avec la parabole du père miséricordieux, après nous être ‘‘situés’’ en ce moment où le fils se sent sale et revêtu, pécheur à qui la dignité a été rendue, honteux de lui-même et orgueilleux de son père. Le signe pour savoir si on est bien situé est l’envie d’être désormais miséricordieux envers tout le monde. Voilà le feu que Jésus est venu apporter sur la terre, celui qui allume d’autres feux. Si la flamme ne prend pas, c’est que l’un des pôles ne permet pas le contact ; ou bien la honte excessive ne dénude pas les câbles et, au lieu de confesser ouvertement ‘‘j’ai fait ça et ça’’, elle se couvre ; ou la dignité excessive touche les choses avec des gants.

Les excès de la miséricorde

Un petit mot pour finir sur les excès de la miséricorde.

L’unique excès face à la miséricorde excessive de Dieu est d’excéder en la recevant et en voulant la communiquer aux autres. L’Évangile nous montre de nombreux beaux exemples de ceux qui commettent des excès pour la recevoir : le paralytique, que ses amis font entrer par le toit au milieu de l’endroit où Jésus était en train de prêcher – ils exagèrent –; le lépreux qui abandonne ses neuf compagnons et retourne en glorifiant et en rendant grâce à Dieu à haute voix et se met à genoux aux pieds du Seigneur ; l’aveugle Bartimée, qui parvient à arrêter Jésus par ses cris – et réussit aussi à vaincre la « douane des prêtres pour aller chez le Seigneur ; la femme hémorroïsse, qui, dans sa timidité, s’ingénie à atteindre une proximité intime avec le Seigneur et qui [fait que], comme le dit l’Évangile, lorsqu’elle a touché son manteau, le Seigneur a senti que ‘‘sortait’’ de lui une dynamis… ; ce sont tous des exemples de ce contact qui allume un feu et déclenche la dynamique : il libère la force positive de la miséricorde. Il y a aussi la pécheresse, dont les manifestations excessives d’amour envers le Seigneur, en lui lavant les pieds de ses larmes et en les essuyant de ses cheveux, sont pour le Seigneur un signe qu’elle a reçu beaucoup de miséricorde et qu’elle l’exprime par conséquent de cette façon exagérée. Mais la miséricorde exagère toujours, elle est excessive ! Les gens les plus simples, les pécheurs, les malades, les possédés… sont immédiatement exaltés par le Seigneur, qui les fait passer de l’exclusion à la pleine inclusion, de l’éloignement à la fête. Et cela ne se comprend pas si ce n’est en terme d’espérance, en terme apostolique, en terme de celui qui a reçu miséricorde pour faire miséricorde à son tour.

Nous pouvons conclure en priant avec le Magnificat de la Miséricorde, le Psaume 50 du Roi David, que nous prions aux laudes tous les vendredis. C’est le Magnificat d’« un cœur contrit et humilié » qui, dans son péché, a la grandeur de confesser le Dieu fidèle, qui est plus grand que le péché. Dieu est plus grand que le péché ! En nous reportant au moment où le fils prodigue s’attendait à un traitement froid et où le Père, au contraire, l’introduit pleinement dans une fête, nous pouvons l’imaginer priant le Psaume 50. Et le prier à deux chœurs avec lui, nous et le fils prodigue. Nous pouvons l’écouter dire : ‘‘Miséricorde, mon Dieu, par ta bonté ; par ton immense compassion efface ma faute…’’. Et nous [pouvons] dire : ‘‘Et moi (aussi) je reconnais ma faute, j’ai toujours mon péché devant moi’’. Et d’une seule une voix dire : ‘‘Contre toi, Père, seulement contre toi j’ai péché’’.

Et prions à partir de cette tension intime qui allume la miséricorde, cette tension entre la honte qui dit : ‘‘Détourne ta face de mon péché, enlève toute ma faute’’ ; et cette confiance qui dit : ‘‘Purifie-moi avec l’hysope et je serai purifié, lave-moi : je serai plus blanc que la neige’’. Confiance qui devient apostolique : ‘‘Rends-moi la joie d’être sauvé, que l’esprit généreux me soutienne et aux pécheurs j’enseignerai tes chemins, vers toi reviendront les égarés’’.

Deuxième médiation : Le réceptacle de la miséricorde

Troisième méditation : La bonne odeur du Christ et la lumière de sa miséricorde