Décrypter le code anti-catholique de Da Vinci Code I

Article par Carl E. Olson et Sandra Miesel publié dans la revue américaine Planet Envoy

Introduction

Dans ce document, nous analyserons le succès du Da Vinci Code, les intentions flagrantes de son auteur, Dan Brown, les principaux défauts de ce roman et le contexte gnostique, les croyances néo-gnostiques sur lesquelles ce livre trouve ses fondements. Cette critique se concentrera sur les sujets suivants : Marie-Madeleine, Constantin et le Concile de Nicée, La christologie de Brown, la quête du Graal, le prieuré de Sion, la sorcellerie et le Moyen Âge, Léonard de Vinci et son œuvre.

Le phénomène du Da Vinci Code

En avril 2003, Doubleday publia Da Vinci Code, quatrième roman de Dan Brown, mélange de roman à énigme policière, de thriller, de conte qui repose sur un complot, d’exposé sur la religion et le révisionnisme historique. Ce roman a rencontré un succès immédiat. Les critiques élogieuses de journaux et de magazines à grand tirage, le succès éclatant du roman précédent du même auteur intitulé Anges et Démons, ont permis au Da Vinci Code de se classer en tête de liste des meilleures ventes dans le New York Times. Sorti à la mi-octobre 2003, cela fait plus de vingt-huit semaines que Da Vinci Code figure aux trois premières places de cette liste. Il y a aujourd’hui approximativement trois millions d’exemplaires de ce livre à l’imprimerie et qui vont être traduits en trente langues.

Da Vinci Code a été qualifié par le New York Times de « thriller aux énigmes multiples, extraordinairement intelligent où les codes sont décryptés. Il a recueilli les éloges enthousiastes, exubérants de nombreux critiques. Le Library journal s’enthousiasme : « la lecture de ce chef d’œuvre devrait être obligatoire. ». Le Chicago Tribune s’émerveille du fait que « ce livre expose des spéculations d’un très haut niveau d’érudition, faisant étalage d’une grande maîtrise des connaissances historiques.». Salon Magazine décrit ce roman comme « un mélange merveilleux de thriller paranoïaque, de cours d’histoire de l’art, de course-poursuite, de cours magistral sur les symboles religieux et de topo anticlérical. » De nombreux critiques firent remarquer l’apparente intelligence de ce roman, la profondeur des recherches sur lesquelles il s’appuie (« la recherche est parfaite » dit le New York Daily News), ce qui a sûrement fait plaisir à son auteur qui, lors d’interviews ou sur son site Internet, insiste sur le fait que ce thriller repose sur des faits précis et les fruits de recherches approfondies. De plus, la première page de ce roman a pour titre : « Les Faits ». On y lit : « toutes les descriptions d’œuvres d’art, d’ordre architectural, les documents et les rituels secrets présents dans ce roman correspondent à la réalité. »

Les lecteurs qui ont accueilli ce livre avec beaucoup d’enthousiasme insistent sur les détails historiques artistiques religieux et théologiques qui font porovoqué leur fascination pour ce best-seller. Un lecteur s’exprime à ce sujet sur le site d’Amazon.com : « Le Da Vinci Code est un des meilleurs livres que j’ai jamais lus. Il permet de voir le monde sous un nouvel angle. » Un autre ajoute : « Les révélations contenues dans ce livre vont vous ébahir. ». Un autre explique : « Le Da Vinci Code doit être l’un des livres les plus remarquables que j’ai jamais lus. C’est un roman merveilleux, très efficace, un mélange d’histoire, de mystère, d’action, d’énigmes et de suspense. Son rythme est si soutenu que l’on ne peut s’en séparer lorsqu’on l’a commencé. L’histoire est presque trop brillante pour être vraie. Le génie véritable et le travail de Dan Brown sont à couper le souffle. L’idée qui sous-tend l’histoire pourrait paraître sujette à controverses mais lorsqu’on y réfléchit, elle devient alors réaliste et tombe sous le sens. » Un autre lecteur fait part d’une réaction plus tempérée: «Les événements historiques et les personnages qui sont décrits dans ce roman sont réels mais personne ne connaît la vérité. Nous ne la découvrirons d’ailleurs probablement jamais. Je pense que certaines choses sont et resteront des mystères. Compte tenu des nombreuses religions présentes dans le monde et des croyances de chacun en ce qui est divin, la Vérité, pour exister devrait éliminer les croyances, les espoirs et la vie de beaucoup de populations dans notre planète. Peut-être y a-t-il plusieurs vérités dans le schéma divin. Ne prenez pas ce livre trop au sérieux. »

En dépit du scepticisme de certains lecteurs, Le Da Vinci Code a connu un tel succès, en un si bref espace de temps que, quelques semaines après sa publication, Columbia Pictures a acheté les droits d’adaptation cinématographique du roman (ainsi que ceux d’Anges et Démons). Le célèbre réalisateur Ron Howard et Columbia seraient en train de travailler à cette adaptation pour 2005.

Les intentions de Dan Brown, les objectifs du Da Vinci Code

Dans sa critique très élogieuse, publiée dans le New York Times, Janet Maslin écrit : « Comme dans Anges et Démons, l’auteur arrive au point de collision entre les preuves empiriques et la foi religieuse. Il fait alors une enquête fouillée sur cet univers d’une façon qui n’est aucunement sacrilège, bien qu’il remette fortement en question la politique du Vatican. Apparemment, Maslin ne sait pas ce que le mot « sacrilège » signifie. Le Da Vinci Code est manifestement sacrilège, en d’autres termes, il profane des croyances sacrées. Jésus y est présenté comme l’époux de Marie-Madeleine et le père de ses enfants, Marie-Madeleine (et non Pierre) est le chef des apôtres, l’Église Catholique a étouffé ces faits par la force et la terreur, Jésus, pour finir, n’était pas réellement divin mais un simple saint homme vertueux, déifié par l’empereur Constantin en 325 de notre ère. De plus, le roman baigne dans une obsession permanente d’idées féministes extrémistes, la notion d’un « féminin sacré », le culte d’anciennes déesses, le tout servi dans un roman sentimental sirupeux au rythme haletant.

Le principal thème du roman de Brown est le besoin urgent de retrouver le « féminin sacré », ainsi que le culte renouvelé d’une déesse ou de déesses. Brown, lorsqu’on lui fait remarquer que son roman insiste beaucoup sur le retour du pouvoir des femmes, déclare : « il y a deux mille ans, le monde était peuplé de dieux et de déesses. Aujourd’hui, seuls les dieux persistent. Les femmes, dans beaucoup de cultures, ont été démunies de leur pouvoir spirituel. Ce roman tente d’expliquer comment et pourquoi ce changement a eu lieu et quelles sont les leçons que nous pourrions en tirer pour le futur. »

Dans une interview donnée sur CNN, le 17 juillet 2003, Brown insista sur cet aspect à plusieurs reprises : « À cette époque, les gens vivaient dans un monde de dieux et de déesses. À Mars correspondait Athéna, au dieu de la guerre la déesse de la beauté ; dans la tradition égyptienne, Osiris et Isis… Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où il n’y a que des dieux. L’équivalent féminin a été supprimé. ». Il continue : « Il est intéressant de remarquer que le mot « dieu » fait référence au pouvoir et à la crainte alors que le mot « déesse » renvoie davantage à l’imaginaire. » Afin d’expliquer ce qui, selon lui, pourrait offenser les chrétiens traditionnels qui pourraient se sentir offensés, il déclare : « Il y a des gens dans l’Église pour qui ce livre est un peu choquant mais la réaction de la grande majorité du clergé et des érudits chrétiens a été positive. » Il continue : « notamment parmi les religieuses qui ont particulièrement apprécié le message féministe contenu dans ce livre. »

Il faut remarquer que lorsque Brown, dans des interviews au sujet de son roman, fait référence à l’Église ou a la chrétienté, il pense à l’Église Catholique. Le Da Vinci Code ne tient pas tellement compte du fait qu’il y a des chrétiens non catholiques comme les orthodoxes et les protestants. On n’y trouve qu’une légère allusion à l’Église d’Angleterre (cf. p.346). Toutes les autres références sont en rapport avec l’Église Catholique, souvent assimilée au « Vatican », terme pour lequel Brown semble avoir une affinité toute particulière. Cependant, il n’est pas catholique et ne semble pas l’avoir été un jour. Lorsqu’on lui demande sur son site Internet s’il est chrétien, il répond sûr de lui et indifférent, très post-moderne : « Je suis chrétien, mais pas dans le sens traditionnel du terme. Si vous demandez à trois personnes différentes ce qu’être chrétien signifie, vous obtiendrez trois réponses différentes. Certains pensent que le fait d’être baptisé suffit, d’autres pensent qu’il faut accepter la Bible comme une source historique immuable. D’autres encore croient au fait que tous ceux qui ne considèrent pas le Christ comme leur sauveur personnel seront condamnés à aller en enfer. La foi est en évolution permanente et chacun d’entre nous trouve sa place où il le peut. C’est en essayant de classifier de façon trop rigide des concepts éthérés comme la foi que l’on finit par débattre de sémantique, en passant complètement à côté de l’essentiel. En effet, nous essayons tous de déchiffrer les grands mystères de la vie et chacun d’entre nous essaye de parcourir son propre parcours vers la Lumière. Je m’intéresse à beaucoup de religions. Plus j’apprends et plus je me pose de questions. Pour moi, ma quête spirituelle sera celle d’une longue vie de travail permanent. »

Cette idée est exprimée par le principal personnage du Da Vinci Code Robert Langdon, « symbologiste » à Harvard : « toute croyance est fabriquée. C’est la définition de la foi, l’acceptation de ce que l’on pense être vrai et qui ne peut être prouvé. Toutes les religions décrivent Dieu par le biais de métaphores, d’allégories, d’extrapolations, et ce depuis l’ère égyptienne jusqu’au catéchisme actuel. Les métaphores permettent à l’esprit de concrétiser ce qui est abstrait. Cela devient problématique lorsque l’on commence à croire à ce que sont nos propres métaphores. Ceux qui comprennent véritablement leur foi comprennent que les récits sont métaphoriques ». (p. 341-2)

Ironiquement, le Da Vinci Code repose sur le fait que Langdon, à la fin du roman fait l’expérience d’une foi profonde apparemment non métaphorique, une expérience qui repose sur le féminin sacré et Marie-Madeleine. Il est aussi intéressant de constater la façon avec laquelle Brown remet continuellement en question tout type d’autorité, et particulièrement celle de l’Église Catholique, mais il garde une grande confiance dans la justesse de sa recherche personnelle (qui concerne un grand nombre de domaines), même sur des sujets où un lecteur averti ne peut manquer de constater son ignorance. Ceci est bien ironique lorsque l’on considère le soi-disant relativisme de Brown et son attitude toujours dubitative face à l’histoire. En bon sceptique, il se demande ouvertement si l’on pourra un jour connaître la vérité au sujet du passé.

« Aussi loin qu’il nous en souvienne, ce sont les vainqueurs, ceux qui réussissent, qui écrivent l’histoire (ces sociétés et ces systèmes de croyances qui, du fait de leur victoire sur d’autres ont survécu). Même si les récits sont toujours subjectifs, nous estimons encore l’exactitude historique d’un concept donné en estimant combien il correspond aux registres historiques préexistants. Beaucoup d’historiens croient aujourd’hui (moi y compris) que lorsque l’on évalue l’exactitude d’un concept historique, il faudrait avant tout se poser la question suivante : dans quelle mesure l’histoire en elle même est elle exacte historiquement parlant ? » (sur le site personnel de Dan Brown).

Brown espère sans aucun doute que Da Vinci Code> sera plus qu’un simple best-seller. Il semble qu’il aimerait que grâce à lui, nous changions notre façon de voir l’histoire, la religion et la civilisation occidentale. Lorsqu’on lui demande si le roman est source de controverses, Brown affirme à nouveau son désir de faire l’apologie du « féminin sacré » et de remettre en question la vision communément adoptée de la culture occidentale et de la chrétienté: « Comme je l’ai déjà dit, cela fait des siècles que l’on susurre le secret que je révèle dans ce livre. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé. Cela dit, c’est peut-être la première fois que l’on révèle ce secret sous la forme d’un thriller à succès mais l’information contenue n’a rien de nouveau. J’espère sincèrement que le Da Vinci Code, en plus de distraire le public, représentera pour lui une main tendue qui l’incitera à faire ses propres découvertes. » (sur le site personnel de Dan Brown).

Comme on l’a déjà fait remarquer, les lecteurs ont été réceptifs au message de l’auteur et beaucoup d’entre eux s’émerveillent face à l’intention subversive de Brown dans son thriller. L’un d’entre eux, subjugué, s’exprime ainsi : « grâce à une recherche impeccable, Monsieur Brown nous fait découvrir des aspects et des interprétations de l’histoire occidentale et de la chrétienté dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’ici, auxquels je n’avais pas même pensé. À plusieurs reprises, je me suis vu après avoir lu ce roman aller sur Internet pour faire des recherches sur les recherches de Brown lui même afin de découvrir un nouveau monde de possibilités historiques qui s’ouvraient sous mes yeux. » (Amazon.com, critiques)

Comme nous le verrons, les possibilités qui s’ouvrent au lecteur sont à la fois douteuses et dangereuses. Elles prennent leurs racines dans des idées qui ne sont pas seulement contraires à la doctrine catholique, mais aussi contraires à l’exactitude historique, au savoir et au sens commun.

Qu’est-ce qui ne va pas avec le Code ?

L’immense succès du roman Da Vinci Code et la virulence du propos à l’encontre de l’Église Catholique ont suscité une importante controverse sur les « faits » qui y sont mentionnés. Ce roman a de l’influence non seulement sur les lecteurs non catholiques mais il fait surgir des questions délicates dans l’esprit de nombreux catholiques.

Certains se voient interrogés sur l’interprétation que Brown fait de l’histoire de l’Église et de la théologie. Un lecteur catholique a écrit à Envoy: « Je suis propriétaire d’une librairie catholique. Tous les jours nous sommes assaillis par des gens qui prennent part aux inepties relatées dans ce livre. Vous ne pouvez imaginer le nombre de gens qui ont eu ce livre entre les mains…. Nous avons même eu affaire à une vieille dame qui parlait de l’Opus Dei hurlant que le contenu du livre est vrai sinon ça n’aurait pas été imprimé. ».

Un autre lecteur, ancien luthérien converti, admet sans détours que Da Vinci Code a fait surgir le doute dans son esprit: « Honnêtement la lecture de ce livre a ébranlé ma foi. Je sais bien que ce n’est que de la fiction, mais une grande partie de ce qui est écrit donne l’impression d’être basé sur des faits historiques, hormis les personnages. Et comme je ne suis pas un érudit en matière de chrétienté, je ne sais même pas où commencer pour réfuter ces idées. Comme l’Église Catholique détient toutes les preuves qui réfuteraient les bêtises contenues dans Da Vinci Code, je me demande si vous ne pouvez pas m’orienter vers une œuvre non chrétienne qui puisse m’aider à mieux suivre le fil complet des événements historiques. Si la chrétienté n’est qu’un vaste accommodement, elle se trouve reléguée au rang de mode de vie, ce n’est plus une religion, ce que je refuse de croire. »

Ces derniers mois nous avons entendu de nombreuses histoires du même genre et nous nous attendons à en entendre bien d’autres, c’est la raison pour laquelle nous avons écrit cette critique. Tout comme les livres intitulés Left Behind (cherchez ce qu’il y a derrière) ont été utilisés pour promouvoir une lecture fondamentaliste des Écritures et de la fin des temps, Da Vinci Code s’est révélé être un outil très efficace pour attaquer la doctrine catholique et ébranler la foi dans la divinité de Jésus, l’authenticité des Écritures et l’autorité de l’Église.

« J’ai interrogé plusieurs personnes dans mon auditoire sur les raisons de leur présence et sur leur opinion sur le livre et les débats organisés le soir. Une femme nous parla de son fils adolescent qui rechignait à recevoir le sacrement de Confirmation et qui pourtant après avoir lu le livre découvrit un Jésus plus crédible, compréhensible, et même plus humain. C’est ce qui lui fit poursuivre sa voie.

Quelqu’un d’autre expliqua que ce genre de document accentue le mystère et que ce faisant, il aide à renforcer sa foi. Pour un autre, ceci remettait en question la crédibilité de l’enseignement de l’Église mais il avait pourtant l’impression que la foi avait besoin d’être discutée pour durer. D’autres exprimèrent l’idée que ce livre renforce le sentiment de désenchantement vis-à-vis de l’Église. »

Ce groupe et d’autres comme lui font bien évidemment valoir des opinions et des « sentiments » plutôt que l’étude objective et approfondie. Une telle ambivalence concernant le contenu du roman est bien résumée dans la remarque de Rotert : « Heureusement les participants aux débats du soir n’attendaient pas qu’on réponde « oui » ou « non » à toutes leurs questions. » On pourrait faire la même remarque à propos de la catéchèse dans de nombreuses paroisses aujourd’hui, soulignant une fois de plus la nécessité d’une approche plus rigoureuse vis-à-vis d’œuvres populaires comme Da Vinci Code, plus particulièrement lorsque de nombreuses personnes alimentent leur vision de l’histoire et des croyances de l’Église à partir de ces sources.

La fiction, et plus particulièrement la fiction populaire, comme Da Vinci Code est devenue un des principaux moyens d’éduquer les masses à propos de toutes sortes de sujets, mais plus spécialement des sujets à controverse qui peuvent facilement donner lieu au sensationnel. La croyance selon laquelle Jésus était l’époux de Marie-Madeleine, a eu des enfants, et n’était pas du tout divin existe depuis plusieurs décennies dans la culture populaire américaine.

Pourtant nombreux sont les lecteurs de Brown, sinon la plupart, qui semblent ne pas en avoir conscience, même si le roman fournit le titre de plusieurs livres écrits au cours des vingt ou trente dernières années qui avancent ce genre de croyances.

En résumé voici les principaux problèmes concernant Da Vinci Code:

1. Il s’en prend à l’Église catholique et à ce qu’elle croit sur Jésus-Christ, à la Bible, et à l’autorité de L’Église.

2. Il prétend être parfaitement précis et basé sur des faits, ce qu’il n’est pas.

3. Il ré-écrit et donne une interprétation erronée de l’histoire séculaire de l’Église.

4. Il met en exergue des idées néo-gnostiques, féministes radicales.

5. Il propage une attitude indifférente et relativiste envers la vérité et la religion.

Afin de critiquer ce roman de manière approfondie, nous devrons aller au cœur de la vision du monde de Brown et de ses croyances vis-à-vis du christianisme. Nous y trouverons une obsession pour les gnostiques, pour la notion féministe du « féminin sacré », notion qui n’est pas aussi pro-femme qu’il y paraît mais plutôt anti-humaine et anti-chrétienne.

Nous découvrirons aussi que l’interprétation que fait Brown de l’histoire de l’Église primitive est fondée sur des sources et des livres qui vont à l’encontre de l’Église catholique et qui sont remplis de remarques contestables, voire fausses, vis-à-vis de l’Église, des Écritures et des écrits gnostiques.

Le féminin sacré et Marie-Madeleine

La plus grande partie du Da Vinci Code se passe sur une période d’à peu près un jour, débutant avec le meurtre du conservateur du Louvre. Robert Langdon, symbologiste à Harvard (terme inventé par Brown pour désigner un expert en symboles ésotériques et religieux), aide la police à déchiffrer un message secret laissé sur le cadavre. Sophie Neveu, une jeune cryptologiste séduisante se joint à lui dans ses recherches. Rapidement, le couple devient suspect et tente d’échapper aux autorités. Alors qu’ils essayent de se protéger et de résoudre l’énigme de ce meurtre, ils s’allient à un riche historien fanatique du Saint Graal, Leigh Teabing, connaissance de Langdon.

Poursuivis par les autorités et par un « moine » qui est censé être membre de l’Opus Dei, ce petit groupe d’iconoclastes et de passionnés du Graal voyagent de Paris à Londres. Dans le récit, l’on découvre une série de discours donnés par Langdon ou Teabing sur l’identité du Graal, l’importance de Léonard de Vinci et de sa Cène, sur la vérité au sujet de Jésus et l’Église Catholique. Après quelques détours et retournements obligatoires, le roman se termine sur une conclusion bien plate et bien peu enrichissante, lorsque Langdon ressent une sorte de manifestation divine sur le lieu supposé où repose Marie-Madeleine : « dans un élan de révérence, Robert Langdon tomba à genoux. Il crut, pendant un moment, entendre la voix d’une femme… la sagesse des temps… chuchotant à travers les gouffres terrestres. » (p. 454)

Marie-Madeleine est le personnage principal du Da Vinci Code (la Marie-Madeleine de la mythologie féministe néo-gnostique). Selon le roman, la « Magdalénienne » fut l’apôtre avec un grand A de Jésus ; le saint Graal, c’est elle. Comme Sandra Miesel le fait remarquer dans le magazine Crisis, « le livre de Brown est plus que l’histoire de la quête du Graal, il réinterprète complètement la légende du Graal. Ce faisant, Brown renverse l’idée selon laquelle le corps féminin est sur le plan symbolique un « récipient » et crée un récipient à la forme symbolique d’un corps féminin. Celui-ci porte un nom bien connu de tous les chrétiens puisque Brown prétend que le Saint Graal n’était que Marie-Madeleine elle-même. Elle fut le vaisseau qui contint le sang de Jésus-Christ dans ses entrailles lorsqu’elle portait ses enfants. »(« le démantèlement du Da Vinci Code», Crisis, septembre 2003).

Au milieu du roman, Langdon et Teabing font part à Sophie de ce principe. Après lui avoir expliqué que le calice du Saint Graal n’est pas une coupe mais un symbole « des entrailles féminines d’une femme » qui « communique la fertilité et la féminité », Langdon dit : « Le Graal est littéralement l’ancien symbole de la féminité et le Saint Graal représente le féminin sacré et la déesse, qui bien sûr a disparu de nos jours, car l’Église l’a éliminée. Autrefois, le pouvoir des femmes et leur capacité à donner la vie était quelque chose de sacré, mais cela constituait une menace pour la montée de l’Église majoritairement masculine. Par conséquent, le féminin sacré fut diabolisé et considéré comme sale. Ce n’est pas Dieu mais l’homme qui créa le concept de « péché originel », selon lequel Ève goûta la pomme et fut à l’origine de la chute de la race humaine. La femme qui fut sacrée, celle qui donnait la vie fut transformée en ennemi » (p.238).

Il continue en disant que « l’Église, presque dès le début, avait assujetti les femmes, banni les déesses, brûlé les non-croyants et interdit la vénération du féminin sacré par les païens.(p.239). Puis, quelques pages plus loin, Teabing dit que « le mariage de Jésus et Marie-Madeleine fait partie du registre historique. » (p.245). Sur ce point, Teabing cite ses sources, Elaine Paigels et son livre à controverses, The Gnostic Gospels (1979). Puis il cite l’Évangile de Philippe, qui décrit le Christ embrassant Marie-Madeleine « sur la bouche », ce qui offensa et contraria les disciples.

Un peu plus tard, Teabing en arrive à ce qui est, clairement, le principal argument de Brown : « Jésus fut le premier féministe. Il voulait être entre les mains de Marie-Madeleine, et ce, pour l’avenir de l’Église » (p. 248).

Teabing proclame que cela, ainsi que le soi-disant mariage de Jésus avec Marie-Madeleine sont la plus grande dissimulation de l’histoire humaine » (p. 249). Il résume l’ensemble : « La quête du Saint Graal est littéralement la quête pour se mettre à genoux devant les restes de Marie-Madeleine. C’est un voyage dont le but est de prier aux pieds de l’exclue, le féminin sacré perdu » (p. 257). Ceux qui ont lu le roman reconnaîtront ici la façon dont il se termine.

Pour Brown, ces informations n’ont rien d’original, comme il l’admet sur son site. La description que Brown fait de Marie-Madeleine, la considérant comme l’incarnation du « féminin sacré » est un thème récurrent des ouvrages féministes néo-gnostiques. Leurs auteurs essaient de réécrire l’histoire des débuts de l’Église en se reposant sur des écrits gnostiques comme l’Évangile de St Thomas, l’Évangile de St Philippe, l’Évangile de Marie et une poignée d’autres. Il y a d’autres récits ésotériques, en plus de l’œuvre de Pagel (Holy Blood, Holy Grail), qui font part des mêmes affirmations. Il y a des sites qui ont pour but de répandre ces idées au sujet de Marie-Madeleine. Tout cela fait partie d’un intérêt grandissant pour le gnosticisme et pour des formes alternatives de la chrétienté qui apparaissent de façon flagrante dans les médias, à travers des romans, la télévision et le cinéma.

Un exemple récent (1999) fut le navet intitulé Stigmata, qui décrivait l’Église Catholique se débattant pour cacher à tout prix les « vérités » subversives contenues dans l’Évangile de Saint Thomas. Le film Matrix est un mélange d’idées néo-gnostiques, de thèmes tirés du bouddhisme et d’autres religions orientales.

Le renouveau du gnosticisme

Les affirmations faites dans le Da Vinci Code ne peuvent être comprises sans une certaine connaissance des références sur lesquelles s’appuie Brown : une approche néo-gnostique de Jésus, de l’Église primitive et de la chrétienté.

Le gnosticisme fut le plus grand défi auquel fut confrontée la foi chrétienne dans ses débuts, au second et au troisième siècles. Cependant, malgré son influence, c’est un mouvement difficile à définir précisément, à cause de son caractère ésotérique, décentralisé et éclectique. En général, le gnosticisme est dualiste, concentré sur un savoir (ou gnose) spirituel secret, hostile ou indifférent au temps et à l’histoire et méfiant, voire haineux, à l’encontre du règne physique et du corps humain. Le gnosticisme cherche à échapper aux limites du temps et de l’espace, à transcender le règne physique et historique et tente d’obtenir le salut par des moyens occultes et individualistes.

Dans son étude fondatrice, The Gnostic Religion : The Message of The Alien God and the beginnings of Christianity, Hans-Jonas explique que le « dualisme radical » du gnosticisme existe à plusieurs niveaux : « Dieu et le monde, esprit et matière, âme et corps, lumière et ténèbres, bien et mal, lumière et mort ». Les anciens gnostiques pensaient que non seulement le vrai Dieu est au-delà du monde et du règne matériel, mais il n’a rien à voir avec la création de la matière. « Le monde est le produit de pouvoirs inférieurs qui, bien qu’ils puissent – par médiation – être descendus de Lui, ont une vraie connaissance de Dieu et en empêchent la connaissance dans le cosmos sur lequel ils règnent ». Plus simplement, le règne matériel est mauvais et l’homme doit lui échapper. Cela ne peut s’accomplir que par la gnose ou connaissance secrète du vrai Dieu.

Cette gnose est enracinée dans la croyance que l’humanité n’est pas faite pour ce monde, mauvais et matériel. Dr. Bart D. Ehrman, auteur de Lost Christianities : the Battle for Scriptures and the Faith We Never Knew (Oxford, 2003), écrit que selon cette perspective « nous sommes emprisonnés ici, pris au piège. Et lorsque nous saurons qui nous sommes et comment nous échapper, nous pourrons alors retourner à notre demeure céleste ». Il remarque combien ce concept rencontre un écho favorable auprès de lecteurs contemporains « dont beaucoup se sentent étrangers à ce monde, pour qui ce monde n’a aucun sens, des lecteurs qui comprennent de façon très profonde et signifiante qu’ils n’appartiennent vraiment pas à cet univers » (p. 114).

Il est aussi certain que le gnosticisme, individualiste, relativiste et syncrétique, plaît aux hommes et aux femmes modernes qui se méfient de l’Église, qui croient l’Église anti-féministe et qui ont en général une vision négative de toute structure d’autorité.

Elaine Pagels explique que certains des premiers gnostiques estimaient que « l’humanité avait créé Dieu et que, donc, de son propre potentiel interne, elle avait découvert par elle-même la révélation de la vérité » (The Gnostic Gospels, p. 122). Plutôt que d’être extérieur et séparé de l’humanité, Dieu est une création de l’humanité. Le salut ne consiste pas à vaincre le péché grâce à l’assistance divine, il consiste à vaincre l’ignorance pas la connaissance de soi (p. 123-4). L’ignorance cause la destruction alors que la connaissance de soi offre la libération et la délivrance de la souffrance. Cela signifie que Jésus ne fut pas l’Homme-Dieu venu sauver l’humanité du péché, comme les chrétiens orthodoxes le croient, mais « un professeur, un révélateur et un maître spirituel » qui n’est qu’humain. Dans l’enseignement gnostique, Jésus n’est pas plus grand que l’élève, mais il aidera l’élève à le transcender en savoir et en « conscience de Christ ».

Un autre concept clé adopté par plusieurs groupes gnostiques, est celui d’un dieu androgyne, d’une divinité qui offrirait un équilibre parfait entre les principes masculin et féminin. Pagel écrit que « certains groupes gnostiques voulaient absolument que le divin soit considéré comme masculo-féminin, le grand pouvoir mâle/femelle.

D’autres prétendaient que les termes ne devaient s’entendre que comme des métaphores puisqu’en réalité le divin n’est ni mâle ni femelle. Un troisième groupe soutenait que l’on pourrait décrire la Source première soit en termes masculins soit féminins, selon l’aspect que l’on voulait privilégier ». Elle ajoute : « Les tenants de ces diverses théories acceptaient que le divin devait se comprendre en termes d’une relation harmonieuse et dynamique entre des contraires, un concept qui pourrait ressembler au ying et au yang des Extrêmes Orientaux, mais qui reste étranger au Judaïsme et au christianisme orthodoxes » (The Gnostic Gospels, p.51).

La divinité gnostique est à la fois dieu et déesse et les gnostiques méprisaient les chrétiens qui avaient « supprimé » la nature féminine de la divinité. Dans Da Vinci Code, Langdon chapitre Sophie à ce sujet, lui disant que le « Prieuré de Sion croit que Constantin et ses successeurs mâles réussirent à convertir le monde d’un paganisme matriarcal à un christianisme patriarcal, en lançant une campagne de propagande qui tendait à diaboliser le féminin sacré, oblitérant la déesse à jamais de la religion moderne » (p. 124). Cette suppression, d’après Brown, eut pour conséquence une humanité tordue et déséquilibrée, trop masculine et manquant d’un principe féminin rééquilibrant: « Les jours de la déesse étaient finis. Le pendule repartit dans l’autre sens. La Terre Mère devint le monde de l’homme et les dieux de la destruction et de la guerre firent de nombreuses victimes. L’ego mâle avait passé deux millénaires sans être freiné par son contrepoids féminin. Le Prieuré de Sion pensait que cette suppression du principe féminin sacré dans la vie moderne avait causé ce que les Amérindiens Hopi appelaient koyanisquatsi ou « vie déséquilibrée », une situation instable marquée par des guerres alimentées à la testostérone, une pléthore de sociétés misogynes et un manque de respect croissant à l’égard de la Terre Mère » (pp. 125-6).

Non seulement les gnostiques croyaient que le vrai Dieu était androgyne (un dieu dépassant le dieu de ce monde, ce demi-dieu que les juifs et les chrétiens croyaient à tort être Dieu), mais beaucoup croyaient aussi que l’humanité devait être androgyne ou masculo-féminine. Certains gnostiques interprétaient Genèse 1, 27 comme voulant dire que Dieu avait créé un androgyne, pas un homme et une femme. Cette idée d’une humanité androgyne et complète apparaît dans le roman. En parlant à Sophie de La Joconde, Langdon déclare que « quoique Vinci ait voulu faire, …. sa Mona Lisa n’était ni homme, ni femme. Le portrait, subtilement, fait penser à l’androgynie. C’est une fusion de deux principes » (p. 120). Langdon, comme Brown, prennent leurs désirs pour des réalités puisque la majorité des historiens d’art s’accordent là-dessus : le portrait n’a rien d’androgyne ; il s’agit d’un portrait magistral d’une dame italienne, sans doute l’épouse d’un marchand, Francesco Di Bartolomeo di Zanobi del Giocondo. Néanmoins, l’idée que Mona Lisa Gherardini puisse incarner un être androgyne correspond aux croyances gnostiques : ceux qui avaient été éclairés par la gnose avaient besoin d’être paire, mâle et femelle, formant un tout parfait ou « syzygy ». Ainsi Jésus exigeait un alter ego féminin qui le compléterait ; en termes gnostiques, cette femme était naturellement l’ « épouse » du Christ, Marie-Madeleine.

Le lien entre ces concepts gnostiques anciens et les attaques féministes contre les enseignements de l’Église, en particulier la prêtrise réservée aux hommes, est évident. Si les genres masculin et féminin ne sont pas uniques, d’une manière vitale mais égale, comme l’enseigne l’Église catholique, s’ils sont le résultat d’une anthropologie incomplète, il n’y a alors plus de raison d’écarter les femmes de la prêtrise ou de l’épiscopat. S’il n’y a pas de différence essentielle ou de distinction entre hommes et femmes, le refus de l’Église d’ordonner des femmes n’est qu’une question de misogynie, non de vérité doctrinale ou théologique. Ce lien est tout à fait visible dans les œuvres des féministes qui veulent obtenir l’ordination des femmes au sein de l’Église catholique.

Finalement, la définition du gnosticisme ancien ou contemporain est rendue plus difficile par sa nature syncrétique. « Les systèmes gnostiques mélangeaient tout : les mythologies orientales, les doctrines astrologiques, la théologie iranienne, des éléments de la tradition juive, qu’elle soit biblique, rabbinique ou occulte, l’eschatologie du salut chrétien et les concepts et la terminologie platonique » explique Jonas dans The Gnostic Religion, p. 25. Aujourd’hui, nombreux sont les groupes ésotériques qui utilisent les concepts et les écrits gnostiques : wiccans, adeptes du New Age, occultistes, féministes radicaux, néo-païens et bien d’autres encore. C’est aussi le cas avec Da Vinci Code qui fait référence à un certain nombre de mouvements et de groupes ésotériques et occultistes amis et qui, surtout, paraît ensorcelé par une interprétation féministe radicale de l’histoire de l’Église.

Le mythe néo-gnostique de l’Église primitive féministe

Les croyances concernant l’Église primitive, le gnosticisme et Marie-Madeleine qui sont avancées dans le roman de Brown remontent au XIXe siècle et à l’apparition du féminisme moderne. Dans son ouvrage intitulé Hidden Gospels : How the Search For Jesus Lost Its Way (Oxford 2001), Philip Jenkins souligne que les « activistes de la fin du dix-neuvième siècle voyaient Jésus et ses premiers disciples comme des proto-féministes dont les idées radicales étaient étouffées par l’orthodoxie patriarcale ». Outre les féministes, « l’idée était communément répandue chez les écrivains occultes et ésotériques que les gnostiques détenaient les vérités centrales d’un christianisme perdu. Plusieurs de ces écrivains partageaient l’excitation de l’époque relative au suffrage des femmes et autres causes progressistes » (p. 125). Ces écrivains ont cherché dans les formes gnostiques et hérétiques de la chrétienté primitive des arguments qui puissent soutenir leur croyance en un Jésus féministe radical, en une Église fondée initialement comme un corps égalitariste et sans dogme. Croyance également dans le fait qu’il y avait des femmes parmi les premiers apôtres ou qu’elles étaient, comme dans le cas de Marie-Madeleine, les apôtres les plus importants.

L’un des premiers textes gnostiques utilisé de manière efficace par les féministes fut Pistis Sophia (dans The Books of the Savior) qui fut publié en anglais en 1896. Marie-Madeleine y est présentée comme l’apôtre principal de Jésus alors que les disciples masculins sont frustrés par le manque d’attention dont ils font l’objet de la part du Christ. Mais ce fut la découverte de nombreux textes gnostiques en 1945 à Nag Hammadi en Égypte qui offrit encore plus de munitions à ceux qui cherchaient à saper l’autorité de l’Église et à en modifier les structures ou la théologie. Elaine Pagels, dont le travail de vulgarisation dans ce domaine a été immense, écrit que « les sources de Nag Hammadi, découvertes à une époque de crise sociale quant à la définition des rôles sexuels nous offrent un défi : réinterpréter l’histoire et réévaluer la situation actuelle » (The Gnostic Gospels, p. 69).

Comme le souligne Pagel, la découverte de Nag Hammadi est vraiment bien tombée pour ceux qui souhaitaient réinterpréter le Christ à leur image et détruire les interprétations orthodoxes et traditionnelles. « Ces discours secrets ont servi de garantie scripturale pour de nouvelles interprétations radicales du Christ ,» note Jenkins « pour interpréter des affirmations théologiques d’une manière purement symbolique et psychologique et pour défier les règles légales ou dogmatiques en fonction du sens moral subjectif du croyant. En règle générale, ces discours secrets sont une mine merveilleuse pour les libéraux, les féministes et les radicaux qui, au sein des églises, remettent en question ce qu’ils considèrent comme des institutions et des préjugés dépassés » (p. 16).

Cela décrit parfaitement les intentions de Da Vinci Code, qui utilise un vecteur romanesque pour promouvoir l’agenda sur lequel un certain nombre de féministes et d’érudits post-modernes travaillent depuis les années soixante. Ces fans du roman de Brown, qui croient que l’auteur est en quelque sorte tombé « par hasard » sur des informations nouvelles seraient surpris d’apprendre combien ses vues sont des lieux communs au royaume des études gnostiques et féministes. La description que fait Jenkins de la littérature produite dans ce domaine correspond tout à fait au roman: « Au cours du siècle dernier, la littérature traitant des discours secrets, réels ou fabriqués, a été envahie par des théories du complot suggérant qu’une organisation puissante, en général l’Église catholique, est en trainde comploter avec cynisme afin de cacher le véritable évangile ou de créer de faux documents pour tromper les fidèles. Ce genre d’idée se retrouve dans plusieurs romans et fictions hollywoodiennes tel Stigmata, film dans lequel on voit le Vatican tentant désespérément de supprimer un Évangile de Jésus calqué, c’est évident, sur l’Évangile de Thomas » (p. 18).

Il faudrait un volume entier pour traiter de façon complète de toutes ces questions entremêlées et pour y répondre. Suivent ici quelques points essentiels pour comprendre le Da Vinci Code.

L’idée féministe selon laquelle l’Église primitive aurait été une organisation égalitaire dirigée à la fois par des hommes et des femmes prêtres et évêques repose sur des hypothèses sans fondement et sans preuve historique. Pagels l’a en partie admis quand, en 1998, au cours d’un programme PBS, From Jesus to Christ, elle a déclaré : « Je ne vois pas, à cette époque là, un âge d’or de l’égalitarisme. Je vois un mouvement nouveau, pas encore formé, divers et menacé qui a offert aux femmes beaucoup plus de mobilité dans certains rôles pendant un moment, en certains endroits et pas à d’autres » (cité par Jenkins, p. 132).

Les chercheurs féministes qui s’interrogent sur les premières décennies de l’Église primitive traitent d’habitude le Nouveau Testament avec méfiance, soutenant que c’est là l’œuvre des hommes eux-mêmes, qui finirent par gagner le pouvoir dans l’Église en éliminant les femmes. Se fondant sur une herméneutique du soupçon, ces chercheurs se doivent de laisser de côté les premières preuves que l’Église fut fondée par le Christ et que sa direction sur terre fut confiée à douze hommes (Mt. 10, 1 ss ; 19, 28 ; Lc 22, 25-30 ; Jn 20, 20-24) conduits par Pierre (Mt 16, 15-19) et se doivent aussi naturellement d’utiliser à tout prix des textes qui furent écrits quelque cinquante à trois cents ans après les documents du Nouveau Testament.

En outre, on trouve cette notion trompeuse que les écrits gnostiques sont toujours féministes alors que les écrits du Nouveau Testament, et donc leurs auteurs, sont eux anti-féministes. Cette idée apparaît aussi dans Da Vinci Code. Après avoir cité dans l’Évangile de Marie-Madeleine le passage où Pierre se plaint de la relation étroite entre Marie et le Christ, Teabing déclare : « Je suppose que Pierre était un vrai macho » (p. 248). Il continue en disant que « Jésus était le féministe par excellence. Il voulait que l’avenir de son Église soit mis entre mains de Marie-Madeleine » (p. 248).

Mais une chose dont Brown ne s’inquiète jamais, c’est de faire citer par ses personnages le verset final de L’Évangile de Thomas, le texte gnostique le plus célèbre.

Ce verset dit : « Simon Pierre leur dit : ‘que Marie nous quitte car les femmes ne sont pas dignes de vivre’. Jésus dit ‘moi-même je la conduirai pour en faire un homme pour qu’elle aussi elle puisse devenir un esprit vivant vous ressemblant, à vous, les hommes. Car toute femme qui se transformera en homme entrera au royaume des cieux » (v. 114). Ce passag, et bien d’autres du même ordre ne s’accordent pas avec les vues féministes des gnostiques tout comme, bien sûr, la façon positive dont l’Église a traité les femmes au cours de l’histoire ne supporte pas les comparaisons avec l’image négative qu’en donnent les féministes.

L’un de ces groupes, l’organisation « catholique » Future Church, explique dans un article en ligne que « les églises Montaniste et Valentinienne, qui avaient des dirigeants hommes et femmes furent finalement dissoutes. Les érudits disent que les communautés montaniste et valentinienne étaient orthodoxes. Elles furent supprimées non parce que leur enseignement était hérétique mais parce que les femmes autant que les hommes étaient à la tête de ces églises ».

En réalité, presque tous les chercheurs, y compris beaucoup d’auteurs féministes, admettent que les montanistes et les valentiniens se situaient hors de l’Église. On les tenait pour hérétiques pour de nombreuses raisons : attaques contre la divinité du Christ (valentiniens) ou contre l’autorité de l’Église (les deux groupes) ; obsession pour les prophéties (montanistes) et vues dualistes (valentiniens). Même Elaine Pagels déclare que le gnosticisme valentinien était « la forme la plus sophistiquée et la plus influente de l’enseignement gnostique et de loin la plus menaçante pour l’Église » (The Gnostic Gospels, p. 31).

Malheureusement, des tentatives aussi maladroites d’utilisation des mouvements anciens et hérétiques à des fins hérétiques modernes deviennent de plus en plus répandues.

Jouer sur les dates

La datation des écrits du Nouveau Testament et des écrits gnostiques est essentielle pour bien mesurer les sérieuses erreurs trouvées dans Da Vinci Code et dans les travaux des adeptes du néo-gnoticisme.

Si les ouvrages gnostiques tels que L’Évangile de Marie et l’Évangile de Thomas ont été écrits à la même période que les Évangiles canoniques, le corpus paulinien et les autres livres du Nouveau Testament (datés de 50 à 100 après Jésus-Christ, même par de nombreux érudits « libéraux »), alors l’Église primitive ressemble aux tableaux peints par des universitaires féministes, dans lequel différents groupes coexistaient sur le même plan, du moins pour un temps, au sein d’une époque de théologie démocratique et floue.

Selon ce schéma, l’Église hiérarchisée dominée par les hommes, s’est établie beaucoup plus tard, au cours des deuxième et troisième siècles et Jésus ne fut pas reconnu comme Dieu-homme avant l’époque de Constantin. C’est exactement le scénario dépeint dans Da Vinci Code (voir p. 230 ss).

Cependant, si les livres gnostiques ont été écrits plusieurs décennies — voire des siècles — après les livres du Nouveau Testament, ils deviennent alors réactionnaires, résultat d’un combat intense des sectes hérétiques contre l’enseignement officiel de l’Église et des Apôtres. Ces combats sont survenus au deuxième siècle, spécialement aux alentours de 135 et 165 après Jésus-Christ, et ont continué quelque temps. La nature de ce combat apparaît dans les écrits des apologistes orthodoxes tel Irénée, qui écrivit son grand texte polémique réfutant le gnosticisme (spécialement les Valentiniens) Contre les Hérésies, en 180 environ après Jésus-Christ.

Autrement dit, le gnosticisme a commencé à affronter l’Église catholique de plein fouet à la moitié du deuxième siècle, des décennies après la vie du Christ et des Apôtres et après la formation de l’Église. Le gnosticisme aurait été un mouvement apparaissant en dehors du christianisme, même si certaines superpositions de langage ou de concepts ont pu coexister, dues pour une part à des cultures communes et d’autre part à l’intérêt des gnostiques pour l’Ancien Testament. Certains partisans du gnosticisme affirment qu’un gnosticisme déjà solidement fondé est évident à l’intérieur de l’Église en la personne de Simon le Magicien (Actes 8, 9-13) mais c’est une vision pour le moins théorique. Hans Jonas écrit que Simon « n’était pas un chrétien dissident, et que si les Pères de l’Église lui ont donné le rôle de l’archétype hérétique, c’est qu’ils admettaient implicitement que le gnosticisme n’était pas un phénomène interne au christianisme » (La religion gnostique, p.103).

Ce qui caractérise particulièrement les écrits gnostiques, c’est qu’ils sont très différents par nature des écrits canoniques : loin d’être historiques, ils sont même anti-historiques en style et en contenu, et ils comportent peu d’éléments narratifs et chronologiques. Les documents Nag Hammadi, aussi racoleurs qu’ils soient, ont peu sinon rien apporté comme détails nouveaux et éclairants sur la vie du Christ et les événements de l’Église primitive. Ceci tient en partie au fait que ces documents ont été écrits des générations après les événements, et en partie au parti-pris gnostique anti-historique qui méprise la foi en un Dieu qui se soucierait de la réalité matérielle et historique. En conclusion de son étude sur la véracité de L’Évangile de Marie et des autres textes gnostiques, Jenkins écrit : « Ces textes non canoniques ont été écrits à une période où la hiérarchie épiscopale était déjà bien établie, quand les premières communautés chrétiennes n’étaient plus qu’un lointain souvenir et quand les Évangiles canoniques étaient déjà largement reconnus comme les principales autorités concernant la vie de Jésus. Marie et plusieurs autres textes ont été écrits à une époque où l’Église avait déjà fixé quatre Évangiles dans son canon.

Malgré l’affirmation que Marie a été omise ou exclue de ce canon, sans doute pour son féminisme subversif, ce texte était bien trop tardif pour être considéré comme candidat à ce canon de l’Église. »

Les conclusions de Jenkins sont approuvées par la majorité des biblistes. Le docteur Bart Ehrman, par exemple, dans son livre Christianisme oublié, la bataille des Écritures et de la foi, ce que nous ne savions pas, (Oxford 2003), ne date aucun des Évangiles gnostiques avant le « début du 2é siècle ». Nombre d’entre eux sont datés du 3e, 4e et 5e siècles. Les introductions aux ouvrages gnostiques contenues dans les documents Nag Hammadi (Harper 1979-88) édités par James M Robinson reconnaissent les mêmes dates, quand bien même elles prétendent que les écrits gnostiques devraient être considérés comme faisant autant autorité que les quatre évangiles. Même Le sang sacré, le sacré Graal, qui prend de très grandes libertés dans son « érudition » (Teabing remarque dans le Da Vinci Code que « les auteurs de ce livre ont fait des raccourcis discutables au plan de la foi dans leurs analyses ») déclare :« les érudits modernes ont établi que certains sinon la plupart des textes de ces manuscrits (Nag Hammadi) datent au plus tard de 150 après Jésus-Christ » (p. 380).

Tout cela contredit l’affirmation de Teabing dans Da Vinci Code que « plus de quatre-vingt évangiles ont été étudiés pour le Nouveau Testament et cependant seulement peu ont été retenus : Matthieu, Marc, Luc et Jean ». (p. 231)

Bien loin des « quatre-vingts évangiles », seuls cinq ou six étaient encore pris en considération dans la deuxième moitié du 2e siècle. À la fin du 2e siècle, L’Église primitive reconnut les Évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean comme les quatre inspirés par l’Esprit Saint et significatifs pour le canon du Nouveau Testament.

Comme le montre Jenkins « le processus de l’établissement du canon était bien entamé avant que Constantin ne devienne empereur et avant que l’Église ait le moindre espoir d’avoir un pouvoir politique. La phase cruciale intervint au milieu du 2e siècle… » (p.85).

De fait, il y avait déjà un consensus croissant sur le canon de l’ensemble du Nouveau Testament au milieu du 2e siècle, même si cela n’a pas été défini à un niveau officiel (non universel) avant la fin du 4e siècle et le début du 5e siècle, à travers une succession de synodes locaux. Lorsque Justin, apologiste et martyre, écrit aux environs de 150 après Jésus-Christ et explique la liturgie des chrétiens à ses lecteurs non-chrétiens, il dit en parlant des Apôtres : « les souvenirs qu’ils ont mis par écrit, appelés Évangiles, nous ont ainsi transmis ce qui leur avait été ordonné » (La première Apologie).

Tertullien, écrivant à la même époque prend la défense des quatre Évangiles, des Actes des Apôtres, des treize Épîtres de saint Paul, de l’Épître aux Hébreux , de la première lettre de saint Jean et de l’Apocalypse contre les idées gnostiques de Marcion (Cinq livres contre Marcion 4. 2, 4. 5). Quelques décennies plus tard, Irénée se réfère explicitement aux quatre Évangiles et à leurs auteurs et suggère qu’ils ont acquis un statut unique dans l’Église :

« Matthieu a également publié auprès des Hébreux un Évangile écrit dans leur propre langue, tandis que Pierre et Paul prêchaient à Rome et établissaient les fondations de l’Église. Après leur départ, Marc, le disciple et l’interprète de Pierre, nous a transmis également par écrit ce qui avait été prêché par Pierre. Luc également, le compagnon de Paul enregistra dans un livre l’Évangile prêché par Paul. Plus tard, Jean, le disciple du Seigneur, celui-là même qui s’est penché sur sa poitrine, publia lui-même un Évangile pendant son séjour à Éphèse en Asie Mineure (Contre les Hérésies, 3 1.1).

Un peu plus tard, Irénée écrit : « Il n’est pas possible que les Évangiles puissent être plus nombreux ou moins nombreux que ce qu’ils sont » (3. 11. 8) et à nouveau il met en évidence Matthieu, Marc, Luc et Jean, preuves supplémentaires que le nombre d’Évangiles reconnus comme faisant autorité dans l’Église a été fixé à quatre au moins 150 ans avant Constantin et le Concile de Nicée.

par Carl E. Olson et Sandra Miesel // Planet Envoy, 2003