​Au service de l'Église: Alvaro del Portillo, premier successeur de saint Josémaria

Ernest Caparros, Professeur visiteur de l'Université Pontificale de la Sainte-Croix, évoque ici des souvenirs d'Alvaro del Portillo, premier grand chancelier de cette université.

Photo de 1988 4 mars - Le bienheureux Alvaro avec l'autuer à Québec en mars 1988. Il avait manifesté son étonnement en voyant l’accumulation de neige dans la ville.

Au service de l'Église:

Alvaro del Portillo, premier grand chancelier de l'Université pontificale de la Sainte-Croix

par Ernest Caparros, Professeur visiteur // Université Pontificale de la Sainte-Croix

J'ai connu don Alvaro la nuit de Pâques 1958, après la célébration de la Veillée pascale. J'avais demandé mon admission dans l'Opus Dei quelques semaines auparavant et j'avais réussi à faire partie de la chorale. J'ai été très ému en le voyant rentrer avec grande dévotion dans l'oratoire de Diego de León, à Madrid. Cet oratoire, au siège central de l'Opus Dei en Espagne, où saint Josémaria avait vécu un bon nombre de moments historiques. Nous étions un petit groupe de jeunes de la chorale et nous nous sommes approchés de don Alvaro. En me regardant en me souriant il m'a dit : « cela fait plaisir de te voir, tu es presqu'aussi gros que moi ». Je conserve bien d'autres souvenirs de mes rencontres avec don Alvaro à Rome, mais aussi dans plusieurs villes canadiennes lorsqu'il est venu nous visiter en 1983 et 1988. Je l'ai accompagné en lui servant, au besoin, d'interprète.

Mais ne nous perdons pas dans ces agréables souvenirs, puisque mon but est de mettre en évidence l'un des traits marquant de la vie du bienheureux Alvaro del Portillo: sa fidèle détermination de toujours appuyer le travail de fondation de saint Josémaria Escriva et de mener à terme des visions et des projets que le fondateur de l'Opus Dei n'avait pas été en mesure d'accomplir.

C'est dans cette perspective qui se situe son effort pour encourager l'établissement d'un bon nombre d'institutions qui cherchaient à répondre directement aux besoins de l'Église.

Saint Josémaria rêvait dès 1950 de créer à Rome une université où les prêtres du monde entier, sans exclure les laïcs ni les religieux et religieuses, pourraient étudier les sciences ecclésiastiques, tout en étant encouragés et soutenus, afin de mener une intense vie de prière et de sacrifice et à faire grandir leur sens de l'unité avec le Saint-Père et l'Église universelle. L'Université de Navarre avait été érigée en 1953 et comptait sur de prestigieuses facultés ecclésiastiques, mais Escriva n'avait pas pu accomplir son rêve romain avant son décès en 1975.

En 1983 del Portillo décida de franchir les étapes pour faire de ce rêve une réalité en établissant ce qui allait devenir l'Université pontificale de la Sainte-Croix. Le projet était de taille. Il l'avait exposé à un groupe de personnes de nombreux pays, qui assumaient des responsabilités dans la formation doctrinale des fidèles de la Prélature réunis à Rome.

Don Alvaro n'ignorait pas le contexte parsemé de difficultés, mais sans que cela ne devienne un obstacle : dans les décennies précédentes le nombre de vocations sacerdotales et religieuses avaient décliné de façon abrupte et donc également le nombre d'étudiants potentiels ; de plus Rome possédait déjà un grand nombre d'universités pontificales et d'institutions dont certaines jouissaient d'une tradition séculaire et d'un grand prestige.

Réunir le corps professoral nécessaire et trouver à Rome des locaux appropriés n'était pas une mince tâche et, en plus, il fallait trouver des étudiants. Tout cela demandait beaucoup d'énergie. Del Portillo y veillait. Lors de cette rencontre internationale que je viens d'évoquer, il m'avait mentionné, se référant à un docteur en philosophie du Pontifical Institute of Mediaeval Studies (PIMS) de Toronto, qui complétait sa formation en vue de son ordination sacerdotale au Collège romain de la Sainte-Croix, «Ernest, je pense que nous allons le garder ici pour la faculté de philosophie ». Il y est depuis le début et fait présentement une brillante carrière. Il exhortait ces collaborateurs: « Nous ne pouvons pas permettre de nous laisser influencer par une fausse objectivité qui conduirait à centrer notre attention sur les difficultés … en oubliant que de l'autre côté de la balance repose la grâce de Dieu dont la puissance est de beaucoup supérieure. » (cf. J. Coverdale, Saxum, p. 173).

Son expérience romaine lui permettait de savoir qu'obtenir les autorisations nécessaires des organismes du Saint-Siège pouvait prendre beaucoup de temps. Il ne se centra pas sur les difficultés, mais trouva une solution pour pouvoir commencer l'institution universitaire sans délai. Del Portillo décida d'aller de l'avant sur une base temporaire en demandant aux facultés ecclésiastiques de l'Université de Navarre de parrainer le programme de Rome et d'établir une sorte de « succursale romaine ». Une procédure similaire avait été utilisée pour le début des facultés ecclésiastiques à Navarre, mais alors c'était l'Université du Latran qui avait établit une « succursale à Pampelune ». Ainsi le cadre académique en germe de la nouvelle université était établi. Cela permis le début des activités du Centre académique romain de la Sainte-Croix en 1984 avec quarante étudiants. Ses premiers pas eurent lieu dans un édifice lié à la vie de saint Philippe Néri, à proximité du Palazzo Farnese. Plus tard d'autres locaux furent obtenus et notamment le Palazzo dell'Apollinare, un édifice historique spacieux, propriété du Saint-Siège, au centre de Rome à proximité de la Piazza Navona, qui avait logé le Séminaire romain, dont l'un de ses illustres élèves avait été saint Jean XXIII

Les nouveaux espaces physiques étaient requis pour ajouter de nouvelles facultés et augmenter le nombre d'étudiants. Cela se reflèterait au niveau du rang que l'institution allait acquérir. Ainsi en 1990 le Centre académique fut élevé au rang d'Athénée pontificale et en 1998 saint Jean-Paul II lui accorda le statut d'Université pontificale. Pour souligner le quinzième anniversaire du début des activités académiques, le Saint-Père accordait une audience à la nouvelle Université le 29 mai 1999. Dans son discours (dont le texte original se trouve dans le site du Vatican : https://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/1999/may/documents/hf_jp-ii_spe_19990529_jp-ii-univ-santa-croce_it.html[1]), s'adressant à l'ensemble de l'université (professeurs, personnels et étudiants), le Pape disait : « Votre université, née comme conséquence du zèle apostolique du bienheureux Josémaria Escriva, se propose de chercher et promouvoir la vérité avec honnêteté intellectuelle et respect de la Révélation. Elle se sent au service de l'Église, appelée en notre temps à fournir un effort missionnaire plus courageux, dans la perspective du troisième millénaire. […] Chers amis, je vous encourage à poursuivre l'engagement que vous avez pris d'approfondir la doctrine, toujours vivifiés par le désir ardent de sainteté. Plût à Dieu que toutes les personnes qui fréquentent votre université puissent compter sur votre aide pour faire face aux défis que la culture et de la société posent à la foi, et pour être des apôtres de la nouvelle évangélisation, dociles au Saint Esprit et fidèles au magistère de l'Église. »

Selon le rapport académique de 2012-2013, l'Université est constitué des facultés de Théologie, Droit canonique, Philosophie et des Communications sociales institutionnelles, cette dernière ouvrant une porte précisément sur les moyens de faire parvenir le message chrétien. En outre, l'Institut supérieur de sciences religieuses, rattaché à la faculté de Théologie, offre un programme spécialisé pour la formation des enseignants. Sa mission spécifique est –comme le soulignait saint Jean-Paul II— d'approfondir le contenu intellectuel et la richesse anthropologique de la foi établissant, en même temps un dialogue avec la culture contemporaine.

Les quarante étudiants du début sont devenus, selon les données de 2013, un corps étudiant de 1523 personnes inscrites à l'université (des laïcs, femmes et hommes, des prêtres, des religieuses et des religieux) de 77 pays et de nombreux diocèses. Notamment : 120 de 21 pays de l'Afrique; 153 des trois pays d'Amérique du Nord; 186 de 18 pays de l'Amérique Centrale et du Sud; 117 de 14 pays de l'Asie; 493 de 20 pays de l'Europe et 5 de l'Australie.

Des évêques d'un bon nombre de diocèses envoient à cette université, des prêtres, des séminaristes et des laïcs –femmes et hommes- avec le désir de leur offrir une profonde formation scientifique et spirituelle.

Ainsi l'université rayonne à travers le monde principalement par les étudiants de nombreux pays qui retournent chez eux après avoir reçu une solide formation à l'université. L'Université offre aussi des activités de formation continue, des congrès, etc., par exemple pour des professionnels des médias de communication ou encore pour des juges de tribunaux ecclésiastiques, et qui permettent à des nombreuses personnes d'en bénéficier. Il y a même dans certain cas des partenariats avec des institutions universitaires d'autres pays afin de les aider à mettre sur pied des programmes de formation dans des sciences ecclésiastiques.

J'ai le privilège de collaborer avec l'Université de la Sainte-Croix comme professeur visiteur à la faculté de Droit canonique depuis une dizaine d'années. La faculté m'avait demandé de donner un cours sur les relations Église-État, et de le faire en anglais, afin de permettre à des étudiants anglophones d'avoir un cours dans leur langue. J'ai toujours un groupe multinational et diversifié. Le record de multi-culturalisme a été l'année où j'ai eu douze étudiants de douze pays différents. Je participe aussi à des congrès fort enrichissants et j'ai même facilité la publication en français et en anglais des actes de plusieurs congrès de haut niveau tenus sous les auspices de l'Université. De cette façon, les travaux canoniques de ces congrès enrichissent aussi des canonistes de ces deux langues.

Le rayonnement et la volonté de collaboration de l'Université de la Sainte-Croix ont pris un autre tournant. Mon statut de professeur visiteur à servi de pont afin d'initier un programme spécifique à Montréal. Il y a quelques années des chanceliers du Québec manifestaient le besoin d'établir un programme d'initiation au droit canonique pour le personnel de chancelleries et de tribunaux. Une visite du doyen de la Faculté de droit canonique de l'Université de la Sainte-Croix en 2011 ouvrit la porte à des rencontres fructueuses entre des chanceliers et le recteur de l'Institut de formation théologique de Montréal. Cela aboutit à la signature d'une entente de collaboration entre la Faculté romaine et l'IFTM et à la mise sur pied d'un Certificat d'initiation au droit canonique et un Département de droit canonique à l'IFTM. Le programme complète sa troisième année et a la particularité que ses cours sont mis en ligne à la disposition des étudiants. Ils peuvent les suivre selon leur disponibilité et compter sur l'appui du professeur. L'étudiante la plus éloignée suit ses cours à partir de Cotonou.

Ainsi le rêve de saint Josémaria est devenu réalité grâce à la fidélité et à la détermination du bienheureux Alvaro. En mars 2014, j'ai eu le grand plaisir d'assister au congrès soulignant le centenaire de sa naissance. Durant la séance où on mit en évidence son important apport au droit canonique, j'ai présenté la nouvelle édition, en anglais, d'un de ses ouvrages, d'une grande importance pour la codification des droits des fidèles et des laïcs dans les Codes Latin et Oriental. Le livre publié dans la collection Gratianus a permis au directeur de la maison d'édition de dire à un ami qu'il se rendait à Madrid pour participer à la béatification d'un de ses auteurs !

Montréal, 27 septembre 2014


[1] Il n'y a pas de traduction française; pour la version en anglais cf. https://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/1999/may/documents/hf_jp-ii_spe_19990529_jp-ii-univ-santa-croce_en.html