Année nouvelle : faire du neuf avec de l’ancien

L'abbé Patrick Pégourier nous propose quelques pistes pour que nos résolutions de la nouvelle année ne restent pas lettre morte...

Une fois de plus, le changement d’année calendaire s’est accompli dans l’optimisme de rigueur, avec ses feux d’artifice et ses vœux traditionnels. Chacun les a exprimés, avec plus ou moins de conviction. Une jeune fille à qui l’on demandait, lors du réveillon du 31 décembre, quelles étaient ses résolutions pour la nouvelle année, répondit, désabusée : « je n’en prends plus car je n’en tiens jamais aucune ». Effectivement, un regard lucide en arrière ne nous fait-il pas constater que nos progrès au cours des mois passés se sont révélés inconsistants, tandis que nos défauts, bien ancrés eux, sont toujours les mêmes ? « Avec le temps, on devient davantage ce que l’on est », reconnaissait un esprit sage. Néanmoins, la remise à zéro de notre compteur journalier a plus qu’une valeur symbolique : la vie chrétienne, en effet, ne consiste pas principalement en des résolutions pratiques – celles-ci n’engagent pas le tissu profond du cœur -, mais en une orientation positive de tout notre être vers Dieu. C’est surtout dans cette optique qu’il convient de progresser pour changer en profondeur.

« Changez de vie, croyez que Dieu vous aime » !

Nous gardons en mémoire l’insistance avec laquelle la liturgie de l’Avent nous a répété : Le Seigneur vient, il vient avec puissance pour éclairer notre regard. Alors, comment ne pas nous demander : le cadeau de Noël du Fils fait homme, le fruit de son incarnation ne serait-il pas d’amender notre façon de considérer son Père, de le redécouvrir comme Père des miséricordes et Dieu de toute consolation 1 ? Plus qu’un replâtrage, c’est un changement de cap dans l’exercice de notre liberté qui nous est suggéré par la nouvelle année, une adhésion résolue à une source de motivations autre que celle de notre ego. L’exemple de conversions inopinées vient bien à propos, car elles mettent en lumière la redécouverte du véritable pôle de l’existence. Celle d’André Frossard est particulièrement instructive : il met son talent d’écrivain au service de ce qui l’a saisi, quoique le nuancier conceptuel dont il dispose ne soit pas en mesure - il le déplore - de rendre compte de l’éclat et de la densité du nouveau monde dans lequel il a basculé en deux minutes. Entré dans la chapelle des sœurs de l’« Adoration réparatrice » de la rue d’Ulm pour chercher un ami, il passe devant l’ostensoir. Et c’est alors que se déclenche, brusquement, la série de prodiges dont l’inexorable violence va démanteler en un instant l’être absurde que je suis et faire venir au jour, ébloui, l’enfant que je n’ai jamais été (…) Il y a un ordre dans l’univers, et à son sommet, par-delà ce voile de brume resplendissante, l’évidence faite personne de celui-là même que j’aurais nié un instant auparavant, que les chrétiens appellent notre Père, et de qui j’apprends qu’il est doux, d’une douceur à nulle autre pareille, qui n’est pas la qualité passive que l’on désigne parfois sous ce nom, mais une douceur active, brisante, surpassant toute violence, capable de faire éclater la pierre la plus dure et, plus dur que la pierre, le cœur humain (…) Tout est dominé par la présence, au-delà et à travers une immense assemblée, de celui dont je ne pourrais plus jamais écrire le nom sans que me vienne la crainte de blesser sa tendresse, devant qui j’ai le bonheur d’être un enfant pardonné, qui s’éveille pour apprendre que tout est don 2.

Regard contemplatif

Le plus intéressant pour nous, dans cette révolution intérieure que nous vivons par auteur interposé, est sans doute ce commentaire liminaire qu’apporte le ciel lui-même à l’événement : Tout d’abord, ces mots me sont suggérés : vie spirituelle. (…) Je les entends comme s’ils étaient prononcés près de moi à voix basse par une personne qui verrait ce que je ne vois pas encore 3. Cette« voix off »est le prélude à une vision qui, en quelques instants, va bouleverser son existence ; mais aussi, elle « condense » en deux mots le chemin du croyant. Est « spirituel » en effetcelui qui ne vit plus selon la chair, mais sous la conduite de l’Esprit de Dieu, et devient conforme à l’image du Fils de Dieu 4. Tentons quelques explications :

a) la vie spirituelle vise à l’identification au Christ, afin d’être fils dans le Fils5 et de vouloir, comme lui, être en tout référé au Père : Ma nourriture (ce qui me fait vivre) est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé 6. b) elle se traduit par de petites conversions successives qui, progressivement, ouvrent l’âme à l’Amour : Dans notre vie, la première conversion est importante – ce moment unique, dont chacun se souvient, où l’on découvre clairement tout ce que nous demande le Seigneur ; mais plus importantes encore, et plus difficiles, se révèlent les conversions suivantes 7.

c) difficiles mais non impossibles car c’est le Fils qui alimente la vie de mon âme. Il a fait de moi un enfant adoptif du Père. Il est le Verbe : un « Verbe », non détaché, mais engendré, de même nature que le Père 8, en dialogue éternel d’Amour avec lui. Or, la vie d’un enfant adoptif de Dieu participe de celle du Fils. Aussi est-elle, de façon analogue, essentiellement un dialogue filial et amoureux avec le Père 9.

d) sur la base de mon identité de chrétien, en dépit de mes limites, je peux donc changer, devenir autre si, avec l’aide de la grâce, je cherche le face-à-face, je nourris l’échange : Le souverain bien réside dans le dialogue avec Dieu, il procède d’une intime union à lui : et, de même que les yeux du corps s’illuminent lorsqu’ils contemplent la lumière, de même, l’âme orientée vers Dieu est illuminée de sa lumière ineffable10.

Il ne faut que prier Voici, je fais toute chose nouvelle11. Jésus greffe sur ma vie sa propre vie relationnelle avec son Père. Aussi la vie spirituelle du chrétien est-elle une vie de prière qui repose sur la base la plus large : On prie avec ses lèvres, on prie avec son esprit, on prie avec ses œuvres 12.

- avec ses lèvres, sans se contenter de les remuer, mais en se proposant d’intérioriser les prières vocales.

- avec ses œuvres : un enfant de Dieu participe au pouvoir créateur du Verbe 13 par les diverses activités qu’il accomplit : elles prolongent d’une certaine façon l’œuvre créatrice, et composent les « paroles » d’un dialogue avec lui, chaque fois qu’elles manifestent le désir d’accomplir la volonté de Dieu par amour. L’histoire de la composition du célèbre tableau de Dürer – «  les mains en prière » – manifeste qu’un cœur aimant peut faire oraison avec le travail de ses mains 14.

- avec son esprit, en faisant de la vie de son âme un dialogue. Le pape Jean-Paul I rapportait à ce sujet un souvenir de famille, à la campagne en Vénétie : quand sa mère recevait de son époux – il travaillait en Allemagne – une lettre, elle l’ouvrait avec impatience, la lisait et la relisait et, ensuite, se dépêchait d’y répondre. De même, ajoutait-il, la parole de Dieu est semblable à la lettre d’une personne aimée : on l’attend, on la lit pour la faire sienne et on y répond immédiatement 15.

Confiance d’enfant, dialogue contemplatif, prière constante : pierres d’attente d’une éternité heureuse. A nos vœux de bonne année, souvent nos interlocuteurs répondent : « Et surtout la santé » ! Oui, mais la vraie !

1 2 Co 1, 3.

2 André Frossard, Dieu existe, je l’ai rencontré, Fayard 1969, p. 164-167.

3 Ibid. 4 Saint Basile de Césarée, Traité sur le Saint Esprit, 26, 61.

5 Concile Vatican II, Const. pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, 22, 6.

6 Jn 4, 34. 7 Saint Josémaria Escriva,Quand le Christ passe, 57.

8 Credo de Nicée-Constantinople.

9 Cf. Saint Thomas d’Aquin, S.Th. I, 34, a 1 et 2.

10 Saint Jean Chrysostome, hom. 6 : de precatione. 11 Ap 21, 5. 12 Saint Josémaria Escriva,homélie Rome 9.I.1972.

13 Par Lui tout a été fait : Jn 1, 3. 14 Le grand peintre et graveur allemand Albert Dürer (1471-1528) était d’une famille modeste et laborieuse de dix-huit enfants. L’un de ses frères et lui étaient attirés par l’art mais ils n’avaient pas les moyens de se payer la formation correspondante. Un dimanche, à la sortie de la messe, ils décidèrent de tirer au sort lequel des deux irait à Nuremberg suivre des études, l’autre travaillant à la mine pour les financer. Albert fut l’heureux gagnant. Il réussit avec brio et commença à vendre ses œuvres. De retour à la maison paternelle, lors d’un déjeuner de fête, il porta un toast et dit à son frère :

- Tu m’as payé mes études. C’est maintenant à mon tour de le faire. Inscris-toi à l’Académie !

- Non. Vois mes mains. Ces quatre années de labeur les ont gâchées pour la vie. C’est trop tard !

Alors, bouleversé, Albert esquissa sur la toile ces mains noueuses, les paumes unies et les doigts tendus vers le ciel. Le titre du tableau était tout simple : « Des mains » ; mais, face à leur force expressive, le public l’appela rapidement : « Les mains en prière ».

15 Cf. N. Valentini et M. Bacchiani, Le pape du sourire.